Ce que travailler veut dire
Ce livre a été publié en 1986 sous le titre « La Saga du boulot / Les Français racontent comment ils gagnent et vivent leur vie ». J’ai voulu lui donner une nouvelle vie grâce à cette publication numérique, car si le travail, l’économie, ont changé considérablement en 33 ans, les témoignages que l’on pourra lire ici conservent toute leur pertinence, leur émotion, leur justesse en ce qui concerne le vécu personnel du travail.
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Ce que travailler veut dire/Les Français-es témoignent
MICHEL LAURENT
Cultivateur
Se mettre à son compte en reprenant une ferme en friche, en défrichant, en avançant, ça, c’est créer quelque chose. Pas comme l’exploitant qui continue la ferme de son père. Ah oui, je suis fier d’avoir créé mon exploitation. Sûr. Y aurait fallu que j’y laisse une jambe, je la laissais… J’ai réalisé ce que je voulais. Je serais prêt à recommencer avec un truc dans le même état. Pas en gagnant deux cents millions au loto et en achetant une ferme avec, en allant voir le marchand de machines et lui dire : « Voilà tant de sous, amène-moi du matériel. » Ça, pour moi, c’est pas du boulot. Si j’avais pas fréquenté ma femme, je serais pas ici, hein ? Après le Maroc, en rentrant de soldat, je serais reparti. Avec ma musette, tout nu. Pour créer quelque chose. N’importe quoi, mais créer quelque chose. Je serais bien parti en Guyane. C’est des gens comme moi qui sont allés mettre en valeur ce pays, hein ? Y a pas eu que des riches !
51 ans, solide comme un roc, il a le visage tanné par le grand air. Parti de rien, il s’est monté un domaine dans l’Aube à la force du poignet. Il y cultive du blé, de l’orge, de l’avoine, du maïs, du colza et du chanvre. Un de ses trois fils travaille avec lui et reprendra l’exploitation. Passionné par le progrès et les techniques nouvelles, il suit chaque hiver les sessions d’un groupe de vulgarisation agricole. « Des fois, je leur fais remarquer : Tiens, vous disiez exactement le contraire, il y a dix ans… » A côté de ses cultures, il élève une centaine de brebis. Ce dur-là a un cœur tendre. « J’aime bien rendre service aux gens. Quand je rends un service à un gars et qu’il est content, vous ne pouvez pas savoir le bien que ça me fait, intérieurement. J’ai toujours été comme ça. Parce que j’ai eu une enfance malheureuse… »
J’étais l’aîné de neuf enfants. Mes parents étaient de petits paysans en Champagne, du côté de Romilly. Une famille très pauvre. Pas d’argent, pas d’entente. On récoltait très mal. Mon père n’a jamais voulu s’adapter aux méthodes modernes. On peut pas comparer avec aujourd’hui. Mes gamins, c’est des princes par rapport à comme on a été élevés nous, hein ? Chez nous, il n’était pas question de ne pas mettre le gamin avec la gamine. On était serrés comme des harengs… (Long soupir.) C’est pas comparable…
J’ai commencé à travailler bien avant douze ans, à faire des chars de céréales et tout ça. On s’occupait pas de l’école. Quand c’était le moment de rouler les céréales, mon père me disait : « Bon, aujourd’hui, tu vas pas à l’école, tu vas les rouler. » Et là, quand on est gamin, on est heureux. J’avais un cheval, vous pensez ! A douze ans, je me suis mis à labourer. Je pouvais même pas tenir la charrue, ça m’emportait. J’étais tout petiot. Pour rentrer au village, je montais sur le cheval, parce que j’étais vraiment lessivé.
J’avais pas tout à fait quatorze ans quand j’ai quitté l’école pour seconder mon père à plein temps. Quand je suis arrivé à 18,20 ans, je me suis aperçu que j’avais la tête complètement vide. L’école, c’est quand même important. C’est ce que je dis aujourd’hui à mes gosses. Pour écrire, heureusement que j’ai ma femme. Les comptes, c’est aussi ma femme qui les fait. Moi, c’est zéro. Je peux vous faire deux fautes dans le même mot. Je lis pourtant beaucoup. Il doit y avoir une question d’assimilation…
Quand je suis rentré de soldat, après deux ans au Maroc, j’ai fait une campagne de battage, à porter des sacs pour gagner de l’argent. Quand la campagne s’est terminée, j’ai mis une annonce dans « L’Est Eclair », pour chercher un emploi comme conducteur de tracteur. J’ai eu sept ou huit réponses. À l’époque, ils regardaient à mille balles anciens. Je voulais 25 000 balles anciens. 250 francs. J’en ai trouvé un pour me payer ce prix. Mais attention ! C’était pas comme aujourd’hui ! Lever à six heures. Manger, midi et demie. Une heure et demie, deux heures moins le quart, au boulot. Jusqu’à sept heures et demie, huit heures. On ne parlait pas des huit heures par jour. Et on n’en souffrait pas. On pensait pas à aller faire les couillons avec des motos et tout ça. Le soir, on prenait son lit…
Là, j’ai fait deux mois. C’était vraiment… Bon, je rentrais de soldat, j’étais vraiment pas facile à commander. Fallait pas me monter sur les pieds, parce que j’avais été dans un régiment assez dur. Le type chez qui j’étais n’avait pas une exploitation assez grande pour m’employer rien qu’à conduire un tracteur. J’ai fait une autre place pendant quatorze mois. Question travail, ça allait bien. Seulement… (Il simule le geste de manger.) A l’époque, y avait à dire, dans les fermes. Pas beaucoup, hein ? C’était par avarice. Et à 22 ans, attention, oh, oh !
Ça a commencé à changer quand on a modernisé les usines. Le chauffeur de tracteur qui était près de la ville, il s’en allait à l’usine. Ils avaient leurs horaires, ils avaient leurs congés et tout ça. Moi, j’avais demandé une semaine de congé en plus, quand je suis allé dans une autre place. On m’a dit : « Les ouvriers agricoles, c’est pas pareil. » « Tiens, j’ai dit, c’est pas les mêmes gens, ça ? C’est pas des Français ? » Pendant mes congés, je prenais une binette et je démariais deux hectares de betteraves à sucre, à la tâche. Les premiers jours, ça dérouillait, hein ?
Si j’ai quitté ce patron-là, c’est pas qu’on s’entendait mal, hein ? Je voulais me mettre à mon compte. J’avais toujours eu envie d’avoir un jour ma propre exploitation. Dès que j’ai commencé à labourer. C’est pas une question de liberté. Parce que quand on est à son compte, on l’a plus, la liberté, hein ? C’est l’inverse. On vous dit : « Ah, tu es au grand air, tu as ta liberté… » (Sifflement dubitatif.) Les responsabilités financières non plus, c’était pas tellement ça que je voulais. Je ne voulais plus être chez les autres, c’est tout.
La dernière ferme où j’ai été, j’étais une sorte de collaborateur du patron. J’étais pas regardant au boulot, et le patron me le rendait bien. Pas en argent, mais il me considérait. J’avais un caractère spécial. Il y avait un Polonais qui travaillait avec moi et qui me disait : « Toi, Michel, c’est pas commis, c’est patron ! » Je lui ai dit : « Écoute, le patron, il commande et il paie. Pour qu’il paie, faut que je lui fasse du bénéfice. Autrement, comment veux-tu qu’il me paie, c’t homme-là ? » Alors y dit : « Ah, moi pas compter comme ça. » Ah, ben j’lui dis : « Mon vieux, si toi pas compter comme ça, y faut pas travailler en cultures, hein ? Faut aller travailler où on n’a pas de responsabilités. Moi, des responsabilités, si on m’en donne pas, j’en prends. C’est tout. Le patron doit être content de son ouvrier et l’ouvrier de son patron. D’abord, les bons patrons font les bons ouvriers et les bons ouvriers les bons patrons ! »
J’avais un frère qui habitait ici, au village. Il m’a dit que cette ferme-là allait être à louer. J’ai téléphoné au propriétaire, je suis allé le voir. Il m’a fait un bail pour les 32,5 hectares de terre, et un bail pour la maison, avec promesse d’achat. Quelque temps après, il est mort d’une congestion cérébrale. Son fils, qui travaillait à Paris, m’a refait un bail de 18 ans pour les terres, en me vendant les bâtiments. Au bout de trois ou quatre ans, il est venu déjeuner avec nous. Il m’a dit : « Michel, il faut que je te vende mes terres. » « Holà, ça non ! Oh là là ! Au prix que ça se vend… » Il m’a dit : « Le prix que ça se vend et le prix que ça vaut, c’est deux choses différentes. » Bon, je lui ai proposé un prix, on s’est accordés.
J’ai commencé avec un tracteur et une charrue d’occasion. Mon père m’avait donné une vache qui produisait trois litres par jour, en tirant bien fort… Je l’ai revendue peut-être bien 90 000 anciens francs. Et la première que j’ai achetée, la noire, je l’ai payée 150 000. Celle-là, c’était du gâteau. Elle donnait vingt et quelques litres de lait. Ce qui a permis de rallonger notre argent pour vivre. A l’époque, avec ma femme, on vivait avec 12 000 anciens francs par mois. C’était en 1961. Des carottes râpées, j’en ai mangé tout l’hiver ! C’est p’t-être pour ça que j’ai joué si longtemps au football. Ha-ha ! L’année suivante, en 62, une partie des céréales a gelé. En 63, elles ont germé. J’avais jamais vu ça, moi. Les racines du blé passaient debout à travers la paille. Je croyais que c’était des araignées. Oh là là !
Et puis voilà. Depuis 64, j’ai acheté 70 hectares. Avec un paquet de dettes au Crédit Agricole. Et j’en loue 30 autres. Avec mon fils, celui qui va rester avec moi, ça va serrer. Il va falloir ou que j’agrandisse la bergerie, ou… Parce que maintenant, avec 90 hectares, j’ai moins d’argent de reste que quand j’en avais 32. Avec les dettes que je me suis mis sur le dos, je suis dans la merde jusqu’à 63 ans, hein ? Les premières années, je me relevais en pleine nuit pour aller voir, en pyjama, si le thermomètre baissait. Ah oui, c’est obligé que ça vous travaille. Maintenant, je m’en fous davantage…
Qu’est-ce que ça représente comme efforts, d’acquérir 70 hectares en partant de rien ?
Faut déjà aller voir le cousin Crédit, comme moi j’appelle ça. (Rire.) Faut déjà avoir une image, hein ? Moi j’avais rien, comme bagage. Rien de rien. J’avais du poil au cul, ça oui ! Le Crédit Agricole a des antennes. Il va pas prêter à un type qui se fait dorer au soleil, hein ? C’est normal. Ils vous prêtent pas non plus parce que vous êtes copain avec Untel. Mon image à moi, c’était celle d’un bosseur. Et puis j’ai eu un ami qui m’a bien aidé. Pas financièrement, mais il m’a soutenu dans mes démarches et tout. Et ça, je m’en souviens. Ça reste. Tout comme je me souviens d’un type qui m’a joué une vacherie.
Donc cet ami m’a prêté du matériel parce qu’il a vu que je bossais. Quand je rentrais du foot, à cinq heures, je prenais l’outil et je partais. S’il fallait que ce soit fait, c’était fait. Et comme j’avais fini parmi les premiers, parce que j’avais pas une grande exploitation, eh bien il y avait encore un syndicat de battage, ici. Alors j’allais une journée chez l’un, une journée chez l’autre, pour faire les sacs, quoi. Ça améliorait l’ordinaire. Et puis on trayait la vache. Et la vache a fait un petit veau. Après, j’ai acheté cinq petits veaux pour faire des bœufs. Deux ans après, quand j’avais besoin de quelque chose, ben j’en vendais un, quoi. Et voilà. Ça a été comme ça…
Où j’ai le plus souffert, c’est quand j’ai acheté les terres qui allaient avec la ferme d’ici. Le reste, ça allait. C’était pas remembré. Vous aviez 15 ares ici, 35 ares là. A l’époque, avec deux cent mille balles anciens, ça passait. Mais alors, les 32 hectares de la ferme, attention, hein ? J’osais pas aller au Crédit Agricole. J’ai pourtant de la langue, mais enfin… On est allé voir, avec la patronne, et on a quand même eu l’argent.
Comment se déroulent vos journées ? A quelle heure commencez- vous le matin ?
Ça dépend du boulot. Maintenant, j’ai mon garçon, alors on reste un petit peu plus longtemps au lit. C’est pas le matin qu’on est le mieux, hein ? Parce qu’on a mal aux reins. Avant, quand j’étais sur des terres, par là, sur les côtes, j’avais des copains qui me voyaient de loin et qui me disaient après coup : « Je savais pas si t’étais pas reparti hier soir ou si tu étais arrivé de bonne heure, le matin, quand il faisait encore nuit. » Quand les autres s’y mettaient à leur tour, moi, je revenais. Et je faisais un autre champ. Et puis après, je repartais avec le semoir.
Maintenant, je me la coule douce, j’ai pas honte de le dire. Les heures que j’ai faites depuis que j’ai quitté l’école, je pense qu’un ouvrier d’usine devrait travailler cent sept ans pour les égaler. Quand j’ai acheté ma première moissonneuse-batteuse, une Clayson de trois mètres, je crois que j’ai fait trois fois le tour de la table de la cuisine sur ma chaise, en présence du représentant. (Il scande.) Trois-mil-lions-neuf-cent-seize-mille ! Je faisais ma moisson, je la terminais avant que les autres aient commencé la leur, et je battais pour deux ou trois autres types pour m’aider à la payer. Sans ça, je pouvais pas. Je faisais deux réservoirs de fuel dans la journée !
Maintenant qu’on est deux, c’est plus facile. Bon, quand il y a un coup de bourre, qu’il faut travailler de bonne heure le matin, c’est le papa qui se lève. Parce que mon gamin, je veux pas le tuer, hein ? Moi, je me suis tué, mais c’est pas parce que j’ai eu une enfance difficile que ça doit être pareil pour les miens. Aujourd’hui, je joue encore au foot avec une équipe de vétérans, mais je sens bien que j’ai forcé la dose question boulot. J’ai la colonne démontée, hé ! J’ai porté un corset pendant deux ans. Ah oui… Dans l’entreprise de battage où j’ai travaillé à 22 ans, y avait du monde pour les gerbes, pour passer le fil de fer servant à maintenir les gros ballots. Mais pour les sacs de grain, au cul de la machine, y avait personne ! Et tu faisais pas que huit heures ! T’en faisais dix ou douze ! Alors là, je me suis effondré. Je voulais gagner de l’argent. Bon, ben j’ai dérouillé, quoi…
Il y a eu aussi les nerfs. Il y a quatre ans, j’ai fait un peu de dépression. Un mois à l’hôpital. Les soucis, tout un tas de trucs. Je continue à prendre des calmants. Quand on arrive à un certain âge, ça fout le camp d’un côté ou de l’autre, hein ? On n’est pas toujours alerte, pas toujours pareil. Maintenant, par exemple, vous allez me dire quelque chose, me balancer une vacherie. Bon, ben je vais pas vous répondre. Et ça va me faire de l’effet pendant deux ou trois jours.
Quand on est jeune, on s’en fout. On dit : « Oh, il peut dire ce qu’il veut, le gars ! » Maintenant… (claquement des doigts.) C’est l’âge. Quand j’avais 20, 22 ans, il fallait pas me monter deux fois sur les pieds. La deuxième fois, vous aviez pas le temps de monter, vous étiez débarbouillé. Ma femme peut vous le dire, j’étais emmerdant. Comme on dit par ici pour les vipères, fallait pas me monter sur la queue sans bâton, hein ?
On se tasse un peu. Et puis il y a l’écart des générations. Moi, je peux pas me plaindre de ce côté-là. J’ai trois garçons que je peux encore discuter avec. Un jour, j’ai dit : « Ah, dis donc, j’aurais pas dû acheter cette machine, j’ai fait une connerie. A la fin de l’année, ça va serrer… » Ils m’ont dit : « Papa, te casse pas la tête. On a tous un livret de caisse d’épargne, on t’aidera. » Je leur avais rien demandé, hein ? Quand j’ai été tout seul, j’en ai eu les larmes aux yeux…
Comment avez-vous le sentiment d’être perçu, en tant qu’agriculteur, par ceux qui ne le sont pas ?
Pas comme un professionnel, pas comme quelqu’un qui doit gérer une exploitation, etc. Ils nous prennent pour des capitalistes. Ils n’ont que cette optique là, hein ? « Vous êtes au grand air, vous brassez de l’argent. Si vous étiez comme nous, on en a ras-le-bol d’être à l’usine », etc., etc. A ces gens-là, je réponds : « Écoutez voir. Prenez un journal agricole, vous y trouverez des fermes à vendre. » « Mais on a pas de pognon ! » Et ben moi, j’en avais pas non plus. Y en a un qui m’a sorti : « Heureusement que tu avais tes parents. » Je lui ai dit : « Renseigne-toi, au moins, renseigne- toi… »
C’est vrai qu’aujourd’hui, compte tenu du prix des terres, ça serait difficile de partir de rien comme je l’ai fait. En tout cas dans un département céréalier. J’avais regardé, un temps, pour une exploitation pour mon fils. Eh bien, on me réclamait déjà une centaine de millions. Où vous voulez que je trouve ça, moi ? Faudrait regarder dans la Corrèze, dans des régions pauvres où il y a des terres pour rien. Là, oui, si j’avais 20 ans aujourd’hui, je le referais. Je me mettrais moins de dettes sur le dos.
Pour la retraite, ce qui me plairait, c’est un coin comme ça, avec des moutons. Pas pour gagner de l’argent. Pour m’occuper un peu en me reposant. Pour avoir le temps de parler avec ma femme. Lui parler sans avoir à discuter de nos dettes. Parce que maintenant, c’est obligé qu’on en parle presque tous les jours. Je viens d’acheter un nouveau tracteur, un John Deere de 92 CV qui m’a coûté 27,8 millions. Je ne sais pas combien de temps il va durer, mais je sais que je suis obligé d’être tranquille pour un certain temps, avec ce prix- là. Bien sûr que j’ai des traites sur cet engin !
Les agriculteurs, j’estime que c’est la corporation où on trouve les gens les plus bêtes. Ils rivalisent stupidement, les jeunes surtout. Y en a un qui achète un tracteur de 100 CV ? L’autre en voudra un de 120 ! L’autre a une moissonneuse de trois mètres ? Ah, je vais en acheter une de trois mètres soixante ! Une moissonneuse-batteuse de 70 millions qui reste onze mois de l’année dans un hangar, vous trouvez que c’est intelligent, ça ? Moi, j’en ai une à moi, mais je ne l’ai payée que 5 millions.
Moi, je sais pas… Certains jeunes ont pas de jugeote. Et puis on les déforme. On va leur dire : « A tant d’hectares, t’es pas rentable. » C’est le mot à la mode, ça, être rentable. Le gars, qu’est-ce qu’il fait quand il y a de la terre à vendre ? Il achète trois ou quatre hectares ! A un prix… hou ! C’est complètement idiot. Si vous achetez ces quatre hectares à un prix élevé et que ça vous bouffe le bénéfice des autres, c’est pas du boulot. Moi, je connais des cultivateurs qui n’ont même pas la moitié de mes surfaces, qui sont au bénéfice réel et qui tournent bien, qui ont du matériel neuf. Ce qui est encore mieux, c’est d’être locataire. Même en donnant au propriétaire, comme fermage, un quintal de plus à l’hectare que la norme. Moi, j’étais en location, au début, mais j’ai été obligé d’acheter. Depuis, le prix de ces terres a doublé. Alors ceux qui en achètent aujourd’hui, quand ils découvrent que ça leur coûte plus que ça leur rapporte, ils se plaignent, ils pleurent ! Ils ont qu’à fermer leur gueule et ne plus faire de bêtises.
Un agriculteur, c’est jaloux, aussi. Et le cultivateur qui vient de l’extérieur n’est jamais bien vu. Vingt-quatre ans après mon arrivée ici, dans ce village, je suis encore un étranger. Quand j’ai déménagé pour venir m’installer dans cette ferme, j’avais un couvre-pieds, une fourche, deux perruches et un chien dans la 2 CV. Et ma femme, bien sûr. Au village, j’avais un frère qui était pas très doué pour l’agriculture. On me l’a pas envoyé en face, mais on m’a laissé entendre que j’étais pareil. Un propre à rien.
Vous savez, dans un village, il y a toujours deux ou trois familles dominantes. Déranger leurs petites habitudes, c’est mortel. Oh là là ! « T’as beau être jeune », qu’y me disaient, « tu mettras tout de même pas les bosses dans les trous ! » « Ah, mais j’essayerai ! Si je réussis pas, je retournerai ouvrier. Mais vous qui n’avez pas été ouvrier, ça vous ferait drôle, hein? » Ça, c’était mauvais à dire. Encore l’autre jour, j’étais invité à souper chez un gars qui m’a vu grandir. Il m’a dit : « Michel, si tu savais ce qu’on a pu raconter sur toi dans les coopératives… Ce p’tit con-là, qu’est-ce qu’il est venu faire ici ? » Oh là là là là ! C’est une chance que je l’aie pas entendu à l’époque, vous savez. Parce que ça aurait fait vendre des prothèses dentaires…
Et encore:
Marcel Desvallées, maraîcher
Paulette Demont, paysanne
Gilles Gamba, bûcheron
Silvain Pitiot, viticulteur
Guy Bernard, mineur
La belle ouvrage
Maurice Goullet, ébéniste
Herve Grandadam, architecte
Christian Truffy, maçon
DEUXIÈME PARTIE
Chaînes et feux continus
Albino Ferreira, peintre dans l’automobile
Mehdi Ben, opérateur métallurgiste
Thérèse François, couturière
Danny Wallyn, métallurgiste
Gilbert Hans, soudeur
Denis Ruas, opérateur de raffinerie
Daniel Vasik, essayeur de voitures
Une échappée
Francis Rigenbach, travailleur saisonnier
TROISÈME PARTIE
Paroles de Femmes
Viviane Simon, ancienne ouvrière
Nelly Ammann, serveuse
Maria Danjy, ancienne bonne
Eliane Teilloud, conductrice de bus
Joëlle Bougier, secrétaire
Maguy Laurence, caissière de supermarché
Mauricette Laudet, ouvière du textile
En avoir ou pas
Annie Seulin, assembleuse
Patrice Uberschlag, chômeur
Christophe Michel, employé de restaurant
Vianney Caudron, pupitreur
Loïc Chauvel, agent ANPE
Jacques Cordier, cadre technique
QUATRIÈME PARTIE
Tenir le coup
Charles Jontef, marchand de confection
Fernand Muller, employé de voirie
Vivre son rêve
Michel Charrel, comédien
Valérie Makowka, danseuse
René Villermy, guitariste
Claude Gauthier, menuisier
Jean-Louis Patane, informaticien
Gens d’argent
Serge Leclerc, cambiste
Pierre Chenut, agent de change
Jean-Pierre Salomon, sous-directeur de banque
Gilberte Beaux, directeur général
CINQUIÈME PARTIE
Servir
Gérald Bertrand, huissier
Philippe Lebrun, diplomate
Pierre-Noël Lemercier, inspecteur de police
Maxime Gaillard, contrôleur des prix
Thierry Marchand, juge
Marc Rousseau, pompier
Agents de liaison
Annie Lejeune, téléphoniste
Ghyslaine Blanchemain, hôtesse d’accueil
Anne Mouchot, conseillère en recrutement
Luciano Espinoza, technicien tri postal
Grand large
Leon Le Rohellec, patron pêcheur
Hélène Hervieu, hôtesse de l’air
Nelly Machizaud, agent de voyage
Roger Franchet, pilote
SIXIÈME PARTIE
Ils foncent et ils aiment ça
Georges Sireix, industriel
Bernard Lenglin, boulanger industriel
Christian Lenôtre, ingénieur
En Question
Marc Simond, gérant de supermarché
Michel Demangeon, métrologue
Pierre-Yves Bernier, représentant
Jean-François Dul, ajusteur
Parenthèses
Georges Nicolas, fonctionnaire international
Patrice Sauvard, ingénieur
Bernard de Villeméjane, PDG
Recentrages
Hubert Faure, étudiant
Marcel Belfils, technicien en chauffage
Pierre Netter, PDG, industriel
Jean-Louis Nieuwbourg, vendeur vidéo
Prolongations
André Bernard, marchand de tissus
Émile Waselle, ingénieur retraité
SEPTIÈME PARTIE
Trois pros du sport
Alain Giresse, footballeur
Patrice Lemaire, jockey
Guy Gallopin, coureur cycliste
Une affaire de look
Hervé Leger, styliste
Yves Lecordier, modèle
Marcelle Réty, toiletteuse de chiens
Corps et âmes
Jeanine Crepet, conseillère matrimoniale
Patrick Douniaux, prof d’éducation physique
Maryse Doess, psychothérapeute
Albert Masson, aumônier de prison
Du berceau à la tombe
Nelly Boudoul, sage femme
Michèle Marty, institutrice
Sandrine Clément, éducatrice
Jacques Gaus, animateur de jeunes
Emile Corbier, infirmier
Charles Bouley, fossoyeur
HUITIÈME PARTIE
En zone sinistrée
Jacques Delivré, médecin du travail
René Iafrate, infirmier en préretraite
Pierre Skoczylas, ex-machiniste de cokerie
Jean-Pierre Mazingue, responsable pôle de conversion
L’Obstiné de Vialas
Patrick Pagès, cuisinier
Le meilleur ou le pire des mondes
André Gorz, philosophe
Franck Bauer, récréaticien
Jean Maczenko, syndicaliste
Alternatives
Hubert Desautel, télétravailleur
Roger Rico, responsable RH
Quêtes de la vraie vie
Kikou Chabrol, bergère
Michel Jault, juriste
Max et Annette Jullien, hôteliers-restaurateurs